Une aventure sensationnelle au nord du Groenland
L’expédition Fram II : une aventure sensationnelle au nord du Groenland Composée de l’explorateur légendaire Otto Sverdrup et de son équipe, l’expédition Fram II est l’une des plus fructueuses jamais réalisées.
« Le roi de la navigation arctique » : voilà comment on se souvient, à juste titre, d’Otto Sverdrup, qui a dédié sa vie mouvementée à l’exploration des eaux polaires. En bon capitaine, il a su garder la tête sur les épaules pendant de longs mois d’hiver. Il a prouvé sa fiabilité en toutes circonstances.
Otto Sverdrup est reconnu comme le troisième grand héros des explorations polaires norvégiennes, après Fridtjof Nansen et Roald Amundsen. En 1888, il a traversé le Groenland à ski en compagnie de Fridtjof Nansen. À bord du Fram, les deux explorateurs ont prouvé qu’un navire pouvait se laisser porter par les courants océaniques de l’Arctique.
Lors de sa troisième expédition en 1898, Otto Sverdrup a mené le Fram et son équipage de 15 personnes à travers les territoires inexplorés du Groenland. Cette expédition sera couronnée d’un succès presque inégalé dans l’histoire de l’exploration.
Parés pour l’aventure
Confortés par le succès de la première expédition Fram aux côtés de Fridtjof Nansen, les investisseurs commencent à se montrer plus généreux. Alors que l’union avec la Suède bat de l’aile, les héros nationaux tels que Nansen et Sverdrup revêtent une importance particulière pour la Norvège. 220 000 NOK sont versées par Axel Heiberg et les frères brasseurs Amund et Ellef Ringnes. L’État participe également à hauteur de 20 000 NOK, une somme dédiée aux réparations et aux améliorations requises. Quand le Fram lève l’ancre le 24 juin 1898, 15 hommes se trouvent à bord : cinq scientifiques, dont le géologue Per Schei, le cartographe Gunnar Isachsen, le zoologiste Edvard Bay et le botaniste Herman G. Simmons, ainsi qu’un équipage de 10 hommes. En plus d’explorer le nord du Groenland et les îles situées au nord du Canada, l’expédition a pour but de mener des recherches sur la profondeur de l’océan ainsi que sur la faune et la flore de la région.
Le bateau
Mais avant d’embarquer pour ce périple, parlons bateau. Le Fram n’est pas n’importe quel navire. Il s’agit du navire d’expédition sur mesure de Nansen, résistant à la glace : en bref, le navire idéal pour des conditions extrêmes. Les autres navires d’expéditions sont, eux, désavantagés par leur construction : la banquise peut aisément les tordre jusqu’à les réduire en miettes. Le Fram, à l’inverse, est conçu à l’image d’une noix de coco. Sa forme lui permet de s’extraire hors de la glace pour continuer à avancer en glissant sur la banquise. En équivalent actuel, le Fram coûterait plus de 18 millions de NOK.
Avant d’entamer cette nouvelle expédition, il est emmené à Larvik pour procéder à quelques modifications. Pour améliorer le confort à bord, un nouveau pont et un salon sont ajoutés, ainsi que des cabines supplémentaires. Ironie du sort, le Fram excelle dans tous les domaines, sauf un : les longs voyages en haute mer. Sa forme effilée suscite, parait-il, un terrible mal de mer chez les membres de l’équipage. Que ne ferait-on pas au nom de la science !
Steak d’ours polaire
Avant le premier hiver de l’expédition, le Fram se met en route en passant par Egedesminde, Godhavn et Upernivik, au sud du Groenland. À son bord : 75 chiens du Groenland, du charbon, de l’eau, des vivres et des équipements en tout genre. Pour son expédition, Sverdrup a jeté son dévolu sur les chiens du Groenland, robustes et affectueux.
L’équipage part à la chasse en vue des mois les plus froids : c’est ainsi que le bœuf musqué et l’ours polaire font leur apparition dans leurs assiettes. Le morse et le phoque sont quant à eux un festin destiné aux chiens. Le bassin de Kane devient leur camp de base du premier hiver. Face à eux s’étend Ellesmere, une île inexplorée de la taille approximative des deux tiers de la Norvège.
La course
On pourrait croire que l’équipage du Fram était le seul à s’aventurer dans ces terres polaires isolées. Détrompez-vous. À l’aube du nouveau siècle, la fièvre polaire est contagieuse. Un jour, Otto Sverdrup fait la rencontre fortuite de l’explorateur américain Robert Peary, au beau milieu de la banquise. Peary était en route pour le pôle Nord.
Le projet titille Otto Sverdrup. Devrait-il tenter sa chance, lui aussi ? L’idée d’être le premier à atteindre le pôle Nord est extrêmement séduisante. Avec le Fram, il dispose d’une base parfaite, avec suffisamment de provisions et des traîneaux à chiens. Pourtant, il ne met pas l’idée à exécution. Sverdrup préfère peut-être renoncer par respect pour Peary ; ou la concurrence est-elle trop rude ? Peary se rue vers le nord et devient la première personne à rejoindre le pôle Nord. Il en paiera d’ailleurs le prix : sept orteils gelés.
Explorateur
De leur côté, Otto Sverdrup et son équipage réalisent d’autres grandes découvertes. Leurs étés sont dédiés à la cartographie de la banquise et des îles, à la chasse et à la collecte de données scientifiques, de plantes et fossiles. Lors d’une expédition de cartographie, trois équipes partent en quête de nouvelles terres. Ils emmènent, en tout, 54 chiens.
Otto Sverdrup et Ivar Fosheim découvrent une île qu’ils baptisent Axel Heiberg. Pendant ce temps, Isachsen et Hassel découvrent deux îles qu’ils nomment King Christian, en l’honneur du roi du Danemark, et Ellef Ringnes, en l’honneur de leur donateur. Cette dernière est une île de plus de 6 000 kilomètres carrés. Isachsen et Hassel accomplissent une véritable prouesse en cartographiant la totalité de son littoral.
La vie sur la banquise du Groenland stimule les instincts créateurs de l’équipage. C’est ainsi que voit le jour un nouveau type de réchaud permettant, simultanément, de faire fondre la neige, cuisiner un repas ou bouillir de l’eau. Ils inventent également un nouveau type de tente, équipée d’une double épaisseur de toile évitant la fonte du gel à l’intérieur de la tente.
Menace
À l’époque, la plupart des expéditions se préparent en vue de trois hivers sur la banquise. D’une part, parce que la collecte de données scientifiques est une activité chronophage, mais aussi parce que les courts étés ne laissent que peu de temps à la navigation. Les aventuriers ne connaissent que trop bien la menace des longs hivers, froids et ténébreux. Plusieurs tragédies marquent l’expédition. En trois mois, deux membres de l’équipage du Fram rendent l’âme. Au cours d’une expédition en traîneau sur le continent, le docteur Johan Svendsen se donne la mort en se tirant une balle, dans la tente. Il laisse derrière lui une lettre expliquant ses sombres pensées à l’équipage, et révèle sa consommation excessive de morphine et de cocaïne. Peu de temps après, Ove Braskerud, l’homme à tout faire, meurt de pneumonie. Un voile de chagrin s’abat sur l’expédition.
Un froid record
Pendant le troisième hiver, le Fram est paralysé dans la glace du fjord Goose, au sud-ouest de l’île Ellesmere. Après avoir traversé de nombreuses épreuves, vécu la perte de deux amis et frôlé une catastrophe impliquant feu et dynamite, l’atmosphère à bord commence à s’améliorer. L’équipage fête Noël sur un bateau qui abonde en victuaille, où se mêlent joyeusement chants et boissons. Il n’y aura pas de scorbut cet hiver. Pourtant, ce troisième hiver sera le plus froid de tous : le mercure connaîtra une chute effroyable jusqu’à -50 °C.
Sous la surface, une menace attend son heure. Ce froid record épaissit encore la banquise. À l’arrivée du printemps, Sverdrup comprend qu’ils ne pourront pas revenir à temps à leur point de départ. Même les explosifs s’avéreront incapables de libérer le navire avant les prémices d’un nouvel hiver. Le Fram passera un quatrième hiver dans la mer Arctique.
Une nouvelle ère
À leur retour au printemps 1902, Otto Sverdrup et son expédition rapportent une cargaison particulièrement fournie et prometteuse pour la recherche. Plus de 50 000 échantillons arrivent à destination, dont 2 000 spécimens sous verre incluant invertébrés, roches, fossiles et de nombreux planctons, ainsi que des données sur la banquise, le géomagnétisme et les températures polaires.
Des chercheurs norvégiens, russes, suédois, allemands et britanniques se tiennent prêts à étudier ces découvertes. Le retour du Fram marque le début d’une nouvelle ère, où les recherches sont facilitées par une coopération croissante entre les pays et les domaines scientifiques. Trois ans plus tard, la dissolution de l’union devient effective. Au cours des années suivantes, jusqu’en 1926, pas moins de 39 essais scientifiques sont rédigés à partir des découvertes du Fram.
Mémoires d’une aventure
Que dirait Otto Sverdrup s’il apprenait que Hurtigruten navigue aujourd’hui sur les mêmes eaux que l’expédition du Fram II ? Peut-être nous narrerait-il les histoires de cette course vers le pôle Nord et de cette passion de la découverte… Il nous raconterait la vie des pionniers, les paysages du littoral, les belles journées de printemps au Groenland et, bien entendu, la camaraderie qui régnait à bord du Fram.
Peut-être nous saluerait-il depuis le quai, nous souhaitant bonne chance pour notre expédition.
Traduit du texte anglais original d’Ingvild Telle